Trop d'efforts de mise à l'échelle se concentrent sur la mise à l'échelle d'une innovation ou d'une initiative. En tant que tel, leur impact se limite à atteindre un plus grand nombre de personnes. Mais lorsque l'objectif est le bien public, le passage à une échelle supérieure n'a de valeur que s'il entraîne un changement proportionnel de l'impact positif. Que faire si une plus grande échelle n'est pas durable ? Ou si l'intervention profite à un groupe de personnes, mais que lorsqu'elle est étendue à d'autres groupes, elle a des effets négatifs ? Que se passe-t-il si la mise à l'échelle profite au propriétaire et au détenteur, mais pas à la santé sociale et planétaire ?

Il est temps de repenser l'objectif de la mise à l'échelle. Nous soutenons que l'accent devrait être mis sur la mise à l'échelle de l'impact positif qu'une innovation ou une initiative a sur les vies, les moyens de subsistance et notre environnement naturel. Cela implique de considérer les compromis entre les différentes dimensions de l'impact produit par les processus de mise à l'échelle - l'ampleur, la variété, l'équité et la durabilité de l'impact. Ainsi, plutôt que de penser "àplus grande échelle", nous appelons à penser en termes d'impact à "l'échelle optimale".

Qui définit et contribue à l'impact à une échelle optimale ? Les approches qui négligent une agence locale forte risquent de laisser de côté ceux qui ont le plus besoin de résultats positifs et ceux qui sont peut-être les mieux placés pour contribuer à un changement positif.

Une participation large et évolutive au processus de mise à l'échelle est essentielle pour naviguer dans les différentes manières dont la mise à l'échelle impliquera et affectera différentes parties prenantes, et pour équilibrer les intérêts potentiellement contradictoires qui sous-tendent la justification des efforts de mise à l'échelle.

Une approche véritablement participative implique de prendre en compte non seulement les personnes susceptibles de soutenir un processus de changement d'échelle ou d'être affectées par celui-ci, mais aussi les conflits d'intérêts potentiels et ceux qui pourraient avoir intérêt à entraver le changement d'échelle pour le bien public. Il est nécessaire d'identifier et d'atténuer ces défis de manière proactive et transparente.

Nous appelons les bailleurs de fonds et les agences de développement à soutenir des approches participatives et transparentes de la mise à l'échelle, afin de garantir que la recherche d'une mise à l'échelle optimale tienne compte des perspectives d'un groupe diversifié et évolutif de parties prenantes clés et qu'elle soit approuvée par celui-ci. Nous savons que cela prend du temps et des ressources, mais nous savons aussi que c'est un élément non négociable pour le développement durable.

Nous ne luttons pas seulement contre la pauvreté et la dégradation de l'environnement, mais aussi pour l'égalité et la justice sociale. En effet, la cause profonde de la pauvreté et de l'instabilité est souvent l'inégalité entre les groupes sociaux.

Les histoires d'impact important et audacieux contribuent à attirer des fonds, des dons privés et l'approbation publique pour le "développement à l'étranger". Toutefois, pour que notre recherche et notre innovation profitent réellement à tous, nous devons accorder la même importance et la même attention à ceux que nous aidons et à ceux qui sont laissés pour compte.

Pour ce faire, nous devons constamment réfléchir aux implications de notre impact sur l'équité et les évaluer - par exemple, la manière dont l'impact de l'intensification peut affecter différemment différents groupes en fonction de facteurs tels que le sexe, l'origine ethnique ou l'âge. Cela nécessite des approches qualitatives et dynamiques pour évaluer l'impact.

Nous appelons donc les financeurs et les agences de développement à valoriser et à encourager les résultats qui contribuent à l'équité de l'impact et à les considérer comme aussi importants que ceux qui renforcent l'ampleur de l'impact. Pour ce faire, les décisions relatives à la mise à l'échelle doivent être éclairées par une prise en compte permanente des personnes qui risquent de bénéficier (ou de perdre) de la mise à l'échelle, et par un engagement avec elles. Cela nécessite de mettre de côté l'attrait de compter les personnes du Sud comme l'équivalent de compter votre impact.

Le changement d'échelle affecte et est affecté par plus que les personnes. Les effets d'un processus de changement d'échelle sur l'environnement naturel doivent être pris en compte parmi les divers impacts à évaluer dans la recherche d'une échelle optimale. Dans le même temps, les facteurs environnementaux et les changements dans l'environnement ou le climat au fil du temps peuvent permettre ou limiter les efforts de changement d'échelle.

Étant donné que la crise climatique affecte de manière disproportionnée les populations qui sont socialement, économiquement ou autrement marginalisées - souvent en raison de processus de développement inégaux - la prise en compte des impacts environnementaux est particulièrement susceptible d'interagir avec l'équité de l'impact.

Généralement, le Sud global a été rapide à reconnaître l'urgence des défis environnementaux auxquels le monde est confronté. Nous demandons que l'on accorde une attention explicite et ciblée à notre environnement naturel pour soutenir l'élargissement de l'impact.

Alors que les cycles de financement des projets ont tendance à durer environ deux à trois ans, il faut beaucoup plus de temps pour étendre l'impact de la recherche et de l'innovation.

L'extension exige de prêter une plus grande attention aux causes profondes des défis à relever et de renforcer les institutions nécessaires pour apporter des solutions efficaces et durables - en d'autres termes, une "approche systémique". Il est peu probable qu'un seul projet, ou même un seul bailleur de fonds, soit en mesure de mettre en œuvre cette approche avec succès de manière isolée.

Ceux qui souhaitent étendre l'impact de leurs investissements doivent réimaginer leur approche. Par exemple, structurer les investissements de manière à ce que le changement d'échelle soit un objectif, même si cela nécessite une perspective plus longue et plus incertaine. Introduire une programmation multiphase pour poursuivre les investissements dans la recherche et les innovations prometteuses. Créer des coalitions avec d'autres bailleurs de fonds et agences de développement qui ont des mandats et des intérêts complémentaires pour soutenir les processus de mise à l'échelle et encourager la collaboration entre les chercheurs et les innovateurs au-delà des frontières géographiques, des secteurs ou des disciplines.

La mise à l'échelle est un processus dynamique qui se déroule dans un monde dynamique. Et le changement auquel nous assistons aujourd'hui dans les pays du Sud se produit plus rapidement que jamais. Les bailleurs de fonds, les agences de développement, les chercheurs et les innovateurs doivent apprendre à vivre dans l'incertitude et être prêts à s'informer et à répondre aux nouveaux défis et opportunités. Cela exige une ouverture d'esprit et des réponses rapides pendant les phases de mise en œuvre, en adaptant même les plans les mieux conçus.

Les évaluations d'impact sont un moyen utile de comprendre l'impact d'une innovation à un moment et dans un lieu particuliers, mais elles sont insuffisantes pour comprendre la complexité et l'hétérogénéité des facteurs en jeu pendant le déroulement d'un processus de mise à l'échelle.

Nous appelons les bailleurs de fonds et les agences de développement à approuver et à soutenir une culture d'apprentissage qui valorise de multiples formes de preuves, embrasse l'humilité et permet une évaluation plus dynamique. Cela signifie qu'il faut considérer l'ensemble du processus de mise à l'échelle comme un sujet d'enquête possible, et pas seulement le résultat "final" du projet. Cela signifie également être ouvert à l'ajustement de notre approche et de nos questions en réponse à notre apprentissage continu. Nous savons que cela va créer de nouveaux défis et de nouvelles normes de rapport. Mais le développement durable est un défi qui exige l'expérimentation et l'innovation de la part des bailleurs de fonds et des agences de développement, également.

Il existe une grande quantité de recherches et d'innovations dans le Sud qui ont eu un impact positif, ou qui ont montré leur potentiel, mais qui n'ont pas eu suffisamment de succès auprès des bailleurs de fonds.

Les preuves générées localement sont souvent négligées - que ce soit parce qu'elles ne correspondent pas aux critères définis dans le Nord ou parce qu'elles sont basées sur une préférence pour les partenaires ou les innovations développées et validées dans le Nord. Si les bailleurs de fonds veulent réellement renforcer l'impact dans le Sud, ils doivent réfléchir à la manière de trouver et de privilégier les solutions locales.

Nous demandons instamment aux bailleurs de fonds et aux agences de développement de prendre au sérieux l'apprentissage des expériences du Sud en privilégiant les innovations et les connaissances générées dans le Sud, d'inclure officiellement et délibérément l'expérience et l'expertise du Sud dans les efforts de renforcement et la prise de décision, et de travailler ensemble pour identifier et surmonter les préjugés systématiques contre les preuves et les expériences du Sud.

Aucune organisation, stratégie, cadre ou modèle unique ne pourra résoudre les défis mondiaux d'aujourd'hui. Les bailleurs de fonds et les agences de développement doivent travailler les uns avec les autres, et avec nous, pour trouver et mettre à l'échelle des solutions.

Nous devons être systématiques et scientifiques sur la façon dont la recherche et l'innovation sont mises à l'échelle, afin d'augmenter la probabilité qu'elles mènent à des changements significatifs. Nous demandons aux bailleurs de fonds d'investir dans l'apprentissage collectif de la mise à l'échelle de l'impact de la recherche et de l'innovation. Par exemple, en soutenant et en créant des communautés de pratique, en testant des modèles et en commandant des recherches dans et à travers les portefeuilles de projets, et en partageant cet apprentissage avec d'autres. Le soutien à la recherche, au débat et à l'amélioration continue sera bénéfique aujourd'hui et pour les générations à venir, dans les pays du Sud et du Nord.